Jusqu’où ira la révolution des stablecoins, et qui ose en sous-estimer l’impact aujourd’hui, alors qu’ils menacent déjà de bouleverser l’ordre établi de la finance mondiale ? C’est la question que l’on peut se poser à la lecture du parcours de Katie Haun : ex-procureure fédérale devenue l’une des plus puissantes figures du capital-risque crypto, portée par une conviction inébranlable dans la stabilité promise par ces actifs numériques. Mais comment en est-on arrivé à considérer les stablecoins, hier encore méprisés, comme une alternative crédible au système bancaire international ?
En 2018, le Bitcoin végétait autour des 4 000 dollars, alors que l’économiste Paul Krugman, prix Nobel, rabâchait sur leur inutilité. Sur une scène mexicaine, Katie Haun introduisait, contre toute attente, le sujet des stablecoins : ces cryptomonnaies adossées au dollar, censées dompter la volatilité. Pourquoi ce point d’inflexion, face à un auditoire incrédule ? Le problème n’était-il pas, au fond, un angle mort du débat sur l’argent numérique ?
Haun ne vient pas du serail libertarien ni du milieu des startuppers, mais des rangs de la justice américaine, où elle a traqué les dérives et les crimes financiers liés au Bitcoin et au darknet. Ce profil rare explique sans doute pourquoi, après avoir fait carrière chez Andreessen Horowitz, elle a préféré lancer son propre fonds, Haun Ventures, fort de 1,5 milliard de dollars, pour investir librement dans ce qu’elle estime l’avenir de la monnaie.
Les stablecoins, jadis ignorés, soulèvent à présent des enjeux économiques et politiques d’une ampleur inédite.
Pourtant, cette indépendance interroge. Pourquoi depuis son départ, aucun projet n’a-t-il été partagé avec ses anciens associés de la Silicon Valley ? Le secteur serait-il plus concurrentiel ou stratégiquement fracturé qu’il n’y paraît ? Quoi qu’il en soit, tandis que stablecoins comme USDC ou USDT continuent de gagner du terrain, ils forment désormais la quatorzième plus grande réserve de bons du Trésor américain au monde. Plus impressionnant encore, le volume des transactions via stablecoins a dépassé celui de Visa en 2023. Faut-il alors parler d’innovation radicale ou simplement d’un outil de plus pour contrecarrer les limites du système bancaire, notamment dans les pays à monnaie instable ?
Face à un tel essor, comment s’étonner que Walmart, Amazon ou Airbnb flairent déjà le filon, cherchant à contourner les lourdeurs et coûts des circuits traditionnels ? À qui profitera cette mutation, sinon à ces géants capables d’économiser des milliards en frais ? Mais cette ruée vers le dollar numérique fait-elle courir de nouveaux risques – notamment l’absence de protection gouvernementale sur les réserves, ou la possibilité pour des conglomérats d’émettre leur propre monnaie ?
La récente proposition de loi américaine, le GENIUS Act, cherche à encadrer la fiabilité des stablecoins, tout en cristallisant critiques et tensions. Élisabeth Warren, chef de file des sceptiques, s’insurge contre d’éventuels contournements réglementaires, particulièrement le risque de corruption sous-jacent lorsque la famille d’hommes politiques, comme celle de Donald Trump, lance son propre stablecoin. Cette faille institutionnelle met-elle en lumière une régulation à la traîne face à l’appétit technologique ?
Pour Haun, l’ironie est mordante : « Si des règles du jeu avaient déjà existé, il n’y aurait pas lieu de s’alarmer. » Tout en défendant le principe de régulation, elle questionne néanmoins l’opportunité d’interdire les stablecoins à rendement (“yield-bearing” coins), plaidant pour une redistribution des intérêts au profit des utilisateurs. Cette idée, perçue alors comme radicale, n’interroge-t-elle pas plus globalement l’équilibre des profits dans la finance numérique ?
Plus loin encore, Haun anticipe une finance tokenisée où tout actif – des fonds monétaires à l’immobilier – pourrait devenir accessible à tous, défiant les barrières d’entrée traditionnelles. Mais si la révolution paraît inévitable, combien de temps les pouvoirs publics et les citoyens accepteront-ils d’en rester les spectateurs ? La vraie interrogation demeure : qui, des institutions ou de la technologie, l’emportera dans la gouvernance de notre nouvel ordre monétaire ?
Source : Techcrunch