Bienvenue dans la “grande migration des plateformes”, où chaque acteur de la tech – du colosse industriel à l’oisillon bleu repensé par des rêveurs – tente de refaire le monde à coups de protocoles open source, de feeds personnalisés et de promesses d’autonomie créative. D’un côté, Bluesky troque le label toxique X pour un bleu d’azur libertaire, Threads et compagnie se partagent l’espace aérien et se disputent la nostalgie d’un Web 2.0 où l’on partageait des mèmes pour le plaisir… Et de l’autre, le jeune titan Roblox ne veut plus se contenter des galeries de jeux mais aspire à aspirer, tel un TikTok ludique, tous les regards des ados déjà scotchés à la dopamine du “scroll” vidéo.
Ce changement de paradigme, où la publication rapide – qu’il s’agisse de la punchline en 280 caractères ou de la vidéo de cinq secondes d’un avatar sautant dans l’inconnu – façonne l’attention de millions d’internautes, n’est pas anodin. Derrière ces écrans crépitants se profile la question de la centralisation du pouvoir, de la capacité à imposer un “standard” social ou créatif tout en prônant la décentralisation et la diversité. Roblox, tout rêveur qu’il soit d’aplatir TikTok, étouffe sa propre utopie sous la bureaucratie de la modération et la dictature des API – chaque pseudo liberté est encore bien encadrée par la main invisible du business model, de la sécurité… et du ROI !
Plus ironique encore, pendant que le monde numérique s’agite pour refaçonner la façon dont les gamers, les politiciens et les anciennes licornes communiquent ou créent, le vieux continent industriel, incarné cette semaine par Toyota, met sur la table 3 milliards pour designer le monde réel et automatisé de demain. La startup nation, c’est bien, mais si les législateurs s’en mêlent comme en Inde, la licorne locale finit toujours par se prendre les sabots dans le tapis réglementaire. Là où le tweet se rêve univers décentralisé, où Roblox promet la création sans entraves, Toyota promet l’industrie planifiée façon “japonisation du risque” sur des décennies… jusqu’à ce que la prochaine loi (ou crise) vienne tout bousculer.
Centraliser, décentraliser, ou réglementer : qui tiendra la barre de la révolution numérique quand la tempête gronde ?
En vérité, qu’il s’agisse de Bluesky, de Roblox ou d’un constructeur automobile centenaire, tout le monde navigue à vue dans le brouillard des grandes utopies tech : on rêve d’hémisphères ouverts et de création pure, mais la frontière entre anarchie, contrôle et ce bon vieux capitalisme reste plus floue que jamais. Même les anciens “WhatsApp de l’Inde” finissent sur le grill lorsqu’ils confondent ruée vers l’or et ruée vers la réglementation, tandis que les géants japonais se piquent d’investir plus de temps que de licornes n’en ont à vivre.
Les cyniques diront que seuls les plus habiles survivent à ces cycles : ceux qui, comme Toyota, s’enracinent sur plusieurs décennies, ou ceux qui, comme les plateformes, surfent sur les modes sans perdre de vue le tiroir-caisse. Mais le vrai pari – celui qui déchaîne l’innovation, la créativité et parfois la ruine – consiste, pour tous ces nouveaux bâtisseurs de mondes numériques ou industriels, à définir qui dicte vraiment les règles du jeu. La main invisible du marché, une IA qui nivelle l’imagination, ou ce fichu législateur qui sort la hache lorsque l’écosystème vibre un peu trop fort ? À suivre.



