Oserait-on rêver d’un monde où l’innovation technologique ne se résume pas à une bataille de buzzwords, mais pose la vraie question du progrès – et pour qui ? Aujourd’hui, en 2025, la tech globale brille d’une lumière étrange, entre course aux qubits pour ordinaires quantiques plus stables, inflation d’abonnements IA “ultrapremium”, chasseresses de gadgets Amazon et créativité en mode « IA first » sur les scènes du cinéma et du jeu vidéo – avec, entre deux, de jolies crises existentielles sur le sens même de la “démocratisation” numérique.
L’obsession de la puissance, de la vélocité et de la primeur infuse chaque recoin de la Silicon Valley – et de ses clones mondiaux. D’un côté, on nous promet un avantage quantique via l’“atténuation logicielle”, tandis qu’IBM investit stratégiquement dans des logiciels pour dompter le bruit des circuits actuels, pariant sur la synergie et le communautarisme scientifique. D’un autre, Google sort son nouvel outil de vidéo générative IA Veo 3… en le réservant aux abonnés fortunés, frustrant le commun des geeks par des quotas dignes d’une distribution alimentaire soviétique. Le vrai progrès, déjà, semble n’être disponible qu’à ceux capables de s’offrir l’accès VIP dans les nouvelles cathédrales numériques.
Au même moment, la “démocratisation” prend un parfum d’arnaque distillée : Robinhood propose l’illusion spéculative de “tokenisation” d’actions OpenAI, mais c’est OpenAI elle-même qui crie à la supercherie ; pendant que l’abonnement “IA Max” atteint le tarif délirant de 200 dollars/mois chez Perplexity (et tout le monde suit), sanctuarisant le meilleur de l’intelligence artificielle à une aristocratie de “power users”. Le pouvoir financier conditionne l’accès au savoir, à l’automatisation et aux outils qui redéfinissent notre monde, tandis que la plèbe, elle, se console d’offres “petit budget” lors du Prime Day ou s’arrache des écouteurs sans fil à 100 balles.
La frontière devient ténue entre l’accès “grand public” à la technologie, son illusion joyeusement marketée, et la confiscation progressive de l’innovation au seul bénéfice de l’élite.
Cette partition sociale de la tech infiltre également la créativité et le travail : studios de jeux vidéo mis sous régime sec côté effectifs et dopés à l’IA générative, échecs retentissants chez Blizzard et consolidation à marche forcée au cinéma, tel que le montre l’intégration de Wonder Dynamics chez Autodesk (la “Waw-IA” du cinéma). L’innovation, partout, devient à la fois l’alibi d’une rationalisation sauvage des effectifs (bonjour, Halo Studios !) et la promesse d’un avenir où le rêve ne sera rentable que s’il s’automatise. Où l’on robotise l’artiste, le codeur et l’investisseur – tout en vendant au public l’idée d’une aventure technologique accessible à tous, alors même que chaque évolution profonde est surtaxée, verrouillée, réservée ou frauduleusement « tokenisée ».
En somme, la technologie promet de tout démocratiser, mais elle n’a jamais autant installé de portiers sur le seuil de ses cathédrales. L’inégalité numérique s’organise à coups d’abonnements, de “tokens”, d’illusion de choix ou de promesses de productivité miracle pour ceux qui accepteront de payer l’accès au futur. Le progrès, réel ou fantasmé, ne sera plus un terrain de jeu pour tous – mais un business, une rente, et peut-être demain, le front définitif d’une nouvelle lutte des classes. Car dans la Silicon Valley 2025, “l’innovation pour tous” ressemble de plus en plus à une offre spéciale réservée aux membres premium…