Le progrès technologique semble ces jours-ci souffler d’un drôle de vent : on s’empresse de plier, verrouiller, sécuriser, contrôler, mais toujours avec ce soupçon d’angoisse derrière le sourire marketing blanchi. D’un côté, Google s’échine à convaincre l’humanité que la robustesse de ses charnières vaut bien l’épaisseur de son Pixel 10 Pro Fold. De l’autre, Waymo fait défiler les statistiques de ses robotaxis, comme pour oublier que la voiture autonome, à force de mises à jour logicielles cosmétiques, continue de dérailler devant le bus scolaire le plus immobile des États-Unis. Et Meta, pour finir, orchestre sa croisade contre le plagiat sur Facebook Reels, déroulant une armure anti-copies dont la véritable prouesse tient peut-être plus à la fidélisation de ses créateurs qu’à la défense de leur créativité.
D’ailleurs, cette obsession du “verrou digital”—qu’il s’agisse de plier un smartphone, d’enfermer un algorithme de conduite ou d’apposer des scellés sur des vidéos virales—n’a-t-elle pas le même goût d’arrière-garde? Le Pixel 10 Pro Fold prétend à la solidité ultime alors que tout le secteur se pâme pour la finesse extrême… avec les mêmes doutes sur la résistance. Pendant que les ingénieurs de l’automobile autonome se heurtent à la complexité d’interpréter de simples feux rouges sur des bus scolaires (qui, faut-il le rappeler, sont conçus pour être visibles par… n’importe quel enfant de cinq ans), Meta s’érige en protecteur-monarque d’un royaume créatif finalement beaucoup plus fermé qu’il ne le clame. Un peu comme offrir un coffre-fort, mais dont la clé n’est donnée qu’aux sujets les plus fidèles à la cour.
L’ironie profonde, c’est peut-être que ces « innovations » partagent toutes la même dévotion à la surveillance et au contrôle, tout en sacrifiant subtilement les ambitions les plus folles de la technologie. Quelle est la promesse fondamentale d’une voiture autonome, sinon de nous libérer de nos limites humaines, pour mieux nous sauver de nous-mêmes? Mais si la machine, à force de calculs, en vient à méconnaître les dangers les plus élémentaires, ne court-on pas à grande vitesse vers une illusion de progrès? Et le Pixel 10 Pro Fold, bardé de ses certifications et de ses cachets de robustesse, peine à occulter une évolution d’autant plus timorée qu’elle singe timidement ses rivaux, y sacrifiant son propre potentiel d’audace.
La technologie n’a de sens que si elle nous élève—et non si elle asphyxie par ses verrous la créativité ou la confiance qui fait société.
Quant au “bouclier” anti-copies de Meta, son vrai génie n’est-il pas d’enfermer les créateurs dans un écosystème fermé, tout en leur vendant la protection à grands coups d’algorithmes? Ici, la sécurité vire à la crispation, la protection à la captation, et ceux qui osent crier au vol sont eux-mêmes appelés à la prudence sous peine de bannissement. Plier un smartphone, plier l’innovation, plier la créativité derrière l’apparente révolution des plateformes? C’est le grand paradoxe de notre époque: le progrès qui se plie sur lui-même pour avoir l’air plus sûr, plus propre, plus loyal—alors qu’il finit juste par tourner en rond, les yeux rivés sur le risque, plutôt que sur l’horizon.
Ces trois anecdotes du quotidien numérique résument notre histoire collective: là où la promesse d’un monde plus flexible se mue souvent en peur d’une technologie au fond trop incertaine pour qu’on lâche vraiment prise. Entre la charnière surdimensionnée de Google, l’automatisation défaillante de Waymo et les murs de feutrine de Meta, la tentation du repli reste le plus grand obstacle à une vraie confiance. Peut-être la prochaine révolution du progrès consistera-t-elle, non pas à fortifier encore nos frontières digitales, mais à oser ouvrir la porte, en laissant un peu de vulnérabilité – et donc, d’humanité – s’infiltrer dans la machine.




