Big Tech et petits modèles, IA surpuissante mais poids plumes, numérotation cosmétique versus changement de paradigme : si l’on devait résumer l’actualité technologique du jour, ce serait dans la salle d’attente d’un chirurgien esthétique pour intelligences artificielles. La métamorphose des usages sur YouTube Shorts illustre à merveille notre schizophrénie numérique : toujours plus d’immersion, toujours plus de reconnaissance — et toujours moins d’attention passive. Mais pendant qu’on tord la technique pour mieux sonder chaque pixel affiché sur notre écran, Apple, elle, annonce la refonte… de sa numérotation logicielle. De la chirurgie esthétique pour fanboys ou le prétexte d’une révolution en carton ?
Il suffira bientôt d’un effleurement sur l’écran pour révéler la recette de la robe de la voisine d’un Short, tandis que la Multinationale à la Pomme s’offrira une mise à jour visuelle à grand renfort d’icônes plates et de numéros millésimés : bienvenue dans le règne de la superficialité algorithmique, où l’important n’est plus ce qu’on fait, mais comment on le nomme. Au moment où Apple exhibe un App Store record (avec 406 milliards de dollars de transactions, merci pour les miettes) pour mieux rassurer les autorités et les développeurs, l’ancien rêve du web comme terre d’innovation ouverte tangue dangereusement vers le tout-fermé, le tout-formaté ; sauf, bien entendu, dans les tréfonds obscurs de l’infrastructure, où rôdent les Funnulls du cyberespace et la marchandisation planifiée des failles numériques (Funnull ayant perfectionné la fraude à l’échelle industrielle).
Cet écosystème, à la fois ultra-centralisé et miné de l’intérieur, fait face à un autre paradoxe : la puissance brute ne suffit déjà plus à dominer la partie. DeepSeek, le David de l’IA chinois, distille ses modèles légers mais vainqueurs, libérés sous licence MIT et capables de ridiculiser chez les géants américains (distillation des modèles poids plume, vous dites ?), bousculant le récit du match éternel entre muscles silicium et finesse mathématique. Pendant que les puces Nvidia et AMD s’adaptent aux frontières économiques, bridant sciemment leur puissance pour ne pas froisser les autorités de Pékin ou de Washington (la guerre contemporaine du GPU), Snabbit, en Inde, promet de nettoyer l’algorithme ET la vaisselle, tant que l’appli est au rendez-vous.
La civilisation numérique a beau courir sans relâche vers plus d’agilité, de simplicité apparente et de performance immédiate, elle repose toujours sur des fondations délétères : dépendances opaques, logiques de captation de données et guerre froide technologique.
Qu’en conclure ? Cette accélération d’un côté – recherche visuelle instantanée, expériences utilisateur “enchâssées” façon YouTube Shorts, changement de dénomination qui fait table rase du passé chez Apple (peinture fraîche sur OS ou vraie refonte, la nuance importe peu) – n’est là que pour mieux masquer un ralentissement structurel. Derrière la frénésie du neuf, la numérisation de la société met surtout en scène une compétition géopolitique stérile, une fragilisation de la confiance (merci les Funnull pour l’épidémie d’arnaques), et une résistance des modèles alternatifs, qu’ils soient économiques (App Store), techniques (open source), ou logistiques (hyperlocalisation façon Snabbit).
Reste à voir si l’histoire s’écrit du point de vue de l’ingénieur ou du stratège marketing. Car si tout système se réinvente à coups de versions millésimées et de “distillation” prometteuse, ne serait-il pas temps de se demander – derrière l’obsession du nouveau, du sécurisé, du contrôlé et de “l’ultra-local” – ce qui fait encore sens dans une technologie qui ne cesse de promettre le contraire de ce qu’elle livre ? Gare au miroir aux alouettes : le monde numérique, comme tout bon système d’exploitation, n’a jamais été aussi stable qu’au moment où l’on déclare tout remettre à zéro !