Dans ce grand cirque high-tech, chaque annonce sonne comme une promesse de révolution, mais le décor change-t-il vraiment ou n’assiste-t-on qu’à une rotation savamment orchestrée des projecteurs ? Entre pomme reliftée aux reflets d’IA, bots à répliques chez Musk, data-centers arrosés de pétro-dollars et navigateurs fantasmés en majordomes numériques, le storytelling technophile de la semaine ressemble à une pièce de théâtre où les acteurs tiennent à changer (presque) tous les costumes, mais jamais, ô grand jamais, l’intrigue de fond. À y bien regarder, l’innovation ultime n’est-elle pas de nous faire croire, saison après saison, que tout recommence à zéro ?
À la table des puissants, chaque industrie déroule ses ficelles : Apple déploie une refonte cosmétique et connecte tous les produits dans une même valse de l’interface pour qu’on oublie les vieilles rancœurs entre iPad minimac et Mac minitablette. Pendant que la WWDC s’agite la frange de Craig dans le vent pour flatter la productivité et le style des OS, OpenAI rêve d’un monde où notre login sera un chatbot—presque aussi crédible que “Se connecter avec Google” à l’époque où personne ne mesurait la portée addictive de cet écosystème. Le ver est dans le fruit : demain, la distinction entre outil, identité et assistant sera aussi fine que le silicone d’un iPhone “Air”, pardon, “ultra”…
Mais que dire des renversements de pouvoir ? Tandis qu’Elon Musk exporte son Grok sur Telegram en mode “chatbot avec pourboire à chaque réplique”, c’est tout le paradigme de la conversation qui mute. Les IA sont partout, du jeu vidéo façon Copilot “t’es sûr de vouloir jouer tout seul ?” (merci Microsoft), à Claude qui s’émancipe sur le web, jusqu’aux navigateurs IA (Opera Neon) qui promettent organisation, autonomie et miracle en trois boutons. Mais l’apparente autonomie ne cache-t-elle pas une dépendance croissante, une évaporation progressive de notre capacité à choisir, explorer, ou simplement réfléchir hors des sentiers balisés par leurs algorithmes ?
La surenchère d’assistants et de services personnalisés n’est peut-être qu’une illusion d’autonomie, sous contrôle algorithmique strict, où votre “progrès” individuel se monnaie à chaque clic et chaque octet confié.
Dans ce ballet de nouveaux services, de reliques qui ferment (adieu Pocket, bonjour IA omnisciente), ou d’autonomie revendiquée (auto-réparation Apple, vraiment ?) s’esquisse un paysage où jamais l’utilisateur n’a été si assisté—et, paradoxalement, si cerné par les frontières invisibles érigées autour de ses choix. Ce n’est pas pour rien si les data-centers bourgeonnent en Arabie Saoudite (Humain Ventures, on vous voit), ni si chaque tentative d’émancipation des outils (réparer, lire, s’informer, s’organiser) est aussitôt réinjectée dans une boucle fermée de plateformes-forteresses et d’identités verrouillées.
L’illusion suprême du progrès tech est d’offrir toujours plus de liberté, d’agentivité, de pouvoir personnel… tout en resserrant la toile sur l’utilisateur devenu lui-même data-centre mobile. Aucune refonte d’interface, aucun bouton d’IA et aucune pluie de pétrodollars n’ébranlera ce fait : à trop vouloir être “assistés”, peut-être finirons-nous asphyxiés dans une prison dorée de recommandations, de comptes liés et d’écrans toujours plus lissés. La seule “innovation” radicale du siècle serait-elle d’apprendre à désinstaller, à débrancher, ou tout simplement à dire non ?