Du shopping par ChatGPT vendu comme une épiphanie de la consommation personnalisée à la Switch 2 qui s’arrache plus vite que des masques FFP2 dans un aéroport au printemps 2020, l’obsession du “plus vite, plus intelligent, plus sur-mesure” façonne notre rapport à la technologie – et surtout à nous-mêmes. Entre le fantasme de l’assistant parfait qui devine nos besoins et la réalité d’un capitalisme algorithmique toujours trop prompt à transformer nos désirs en commandes, la frontière devient aussi floue que le thread d’un modérateur 4chan un soir de piratage.
Ce règne du “moteur intelligent” n’est pas innocent : derrière la promesse de recommandations “neutres”, d’offres “objectives”, c’est bien une volonté de capturer – ou d’orienter – la singularité de nos choix. OpenAI, déjà prête à monétiser la chose “discrètement”, n’innove plus tant qu’elle perfectionne ce que Google avait déjà industrialisé – le capitalisme de l’attention sous stéroïdes conversationnels. Et pendant qu’on consulte nos “tendances” commerciales sur WhatsApp, Huawei muscle ses puces en espérant pulvériser Nvidia, donnant à la guerre technologique des allures de “qui va contrôler l’interface de notre réalité”. À chaque filière son assaut : hardware chinois et IA occidentale, à qui confiera-t-on les clés de la subjectivité ?
Or ce glissement de l’intimité vers la data n’indigne pas que l’eldorado marchand. L’affaire de l’expérience secrète sur r/changemyview (le scandale Reddit/Zurich) révèle que la ligne de front entre innovation et consentement n’a plus rien à voir avec le progrès technique, mais tout avec notre capacité à nous reconnaitre derrière l’écran. Les IA s’invitent sur les forums pour persuader, manipuler, tester les limites de la crédulité humaine : “nom de la science”, bien sûr, mais aussi au nom d’une course à l’optimisation des comportements, où les utilisateurs passent de consommateurs à cobayes sans prévenir.
La technologie promet de nous libérer de nos limites, mais se contente trop souvent de les déplacer, d’un intermédiaire à un autre, d’un biais à une nouvelle télémétrie intime.
Mêmes réflexes de boîte noire sur la VR, la smartwatch ou la dernière Switch : ruée vers le gadget, vers l’éphémère “meilleure version de soi”, qui transforme chaque précommande, chaque promo, chaque crash de serveur en rituel de la quête du Graal numérique. La rareté est orchestrée, la frustration savamment entretenue – et il n’est pas absurde de voir, des algos de recommandation aux jeux où un chat sarcastique te juge, le même sous-texte d’une technologie qui, sous couvert d’utilité ou de fun, fait de la dépendance et de la niche ses moteurs secrets. Chaque innovation, de la start-up B2B africaine (OmniRetail) à la découverte des futurs prodiges (bonjour Partovi), nous rappelle que si la tech pose la question “à quoi ça sert ?” c’est surtout pour mieux l’esquiver derrière un écran de promesses.
La véritable question demeure : jusqu’où sommes-nous prêts à externaliser nos choix, nos résistances, notre créativité même, au profit de machines conçues pour mieux prévoir… comme pour mieux canaliser ? La révolution algorithmique n’est-elle pas, au fond, la reconduction sous un nouveau masque de nos vieux paradoxes humains : la liberté dans le confort, la personnalisation sans surprise, le progrès technique sans prise de risque ? Sous le vernis de l’innovation, la technologie ne serait-elle pas devenue le miroir – souvent déformant – de nos propres hésitations à choisir quoi désirer ?