Quel est le point commun entre un aspirateur camouflé en crayon, un appareil OpenAI sans écran, la chasse fébrile aux accessoires AirTag, et l’obsession des plateformes à faire du neuf avec du vieux ? La technologie, aujourd’hui, marche sur un fil étroit : elle promet de tout révolutionner… tout en recyclant ou parodiant hier sous un vernis d’innovation. On passe son temps à “disrupter” le banal : quand Dyson affirme réinventer le ménage avec son PencilVac, il ne livre qu’une baguette ultra-design pour aspirer la poussière, là où l’essentiel du progrès technique semble désormais consister à rendre les miettes Instagrammables.
Le comble ? Ce fétichisme de l’ordinaire s’infiltre dans chaque recoin de notre quotidien “intelligent”, encouragé par la nouvelle alliance d’OpenAI et de Jony Ive, duo d’alchimistes priant pour que la magie opère (en toute discrétion, si possible) avec leur futur appareil fantôme sans écran, ni wearable, ni même la politesse de se montrer. L’évolution du “must-have”, c’est la disparition : plus l’objet se fait invisible, furtif, plus il promet d’efficacité et d’attention — avec, en embuscade, la douce angoisse de se fondre dans le décor numérique à notre place. La course ne se joue plus sur la puissance visible, mais sur la capacité à s’effacer tout en contrôlant nos gestes et nos mémoires. C’est aussi l’ambition affichée par OpenAI dans le rachat de la mystérieuse start-up io, où l’enjeu n’est plus seulement de séduire, mais de s’imposer comme un nouveau standard anthropologique, absorbant le sens même de “l’objet” technologique — jusqu’à se substituer à l’iPhone dans l’imaginaire collectif.
Mais plus on rêve de disparition, plus on balise. Le succès délirant des accessoires AirTag, ces petites extensions de sécurité maniaques pour ne plus rien perdre (pas même sa dignité !), en dit long sur nos peurs inversées : l’objet “perdu” n’est plus une fatalité, c’est le business model d’Apple servi sur un plateau d’anxiété et d’anthropologie du contrôle. L’innovation n’est plus dans la fonctionnalité, elle est dans le fétiche et la customisation. On personnalise, on protège, mais surtout on traque : objets, données, souvenirs, poussières… tout doit être traçable, archivable, monétisé ou, à défaut, stylé jusqu’à l’obsession. Même un jeu vidéo rétro, pour retrouver la magie de ses 9 ans, passe désormais par le cloud Game Pass de Microsoft. In fine, ces plateformes produisent moins de la nostalgie que de la dépendance rituelle à la “récupération simplifiée”, à la mémoire industrielle et externalisée — relisez la novlangue du retrogaming façon abonnement : “Accès, archivage, sauvegarde.” Plus le passé s’empile, moins l’instant existe.
À force de réinventer l’invisible et d’enfermer nos vies dans des bulles connectées, la technologie nous fait rêver au minimalisme… tout en nous vendant la panique de l’oubli.
Il faut reconnaître, dans cette grande braderie techno-fétichiste, une forme de narcissisme collectif et un vertige existentiel : entre disparition des écrans et hypertrophie des objets “intelligents”, l’innovation ne semble capable, au mieux, que d’inventer de nouveaux anxiolytiques. Entre la peur de perdre ses clés, sa poussière, sa jeunesse pixelisée, son autonomie numérique ou son identité au profit d’une IA omniprésente, la boucle n’est pas loin de se refermer. On célèbre le gadget-fantôme ; on s’angoisse de la moindre absence ; on réclame de la nouveauté qui rassure et du rétro qui performe. Chez Microsoft, Apple, OpenAI, Dyson ou même chez ceux qui investissent dans les accessoires d’accessoires, la même promesse de “simplicité retrouvée” se heurte à la nécessité de complexifier le moindre acte du quotidien, sous couvert d’y apporter du sens, du style ou, faute de mieux, un énième abonnement premium.
En bout de course, l’innovation technologique d’aujourd’hui ressemble à une pièce de théâtre tragique et burlesque : chaque disparition s’accompagne d’une nouvelle prolifération d’objets, chaque promesse d’un retour à l’essentiel engendre des strates d’angoisse à balayer… même les miettes du matin. L’ère du digital n’est pas celle de l’oubli : c’est celle du souvenir verrouillé — pour ne jamais, ô grand jamais, perdre le fil.