Offrir une tablette reMarkable Paper Pro pour la fête des pères ou choisir le dernier casque Bluetooth ? C’est bien là le dilemme d’une société qui confond attention et automatisme, hype et utilité, parenté et algorithme de recommandation. Dans cette grande foire hivernale du cadeau technologique — qu’on soit senior adepte de l’interface Uber “Comptes Senior” ou jeune codeur enhardi par Mistral Code et ses rêves d’IA souveraine — la technologie ne cesse de se parer de vertus familiales tout en dissimulant sa vraie finalité : vendre des promesses standardisées dans des boîtes (plus ou moins) rondes, pendant que les vraies relations se programment à la volée.
On ne s’étonnera donc pas de voir au même moment AWS miroiter un « cloud souverain européen », pile au moment où la défiance envers les GAFAM atteint des sommets et que chaque acteur vient paver la rue de l’innovation de comités et boards “100% made in local”. L’emballage change, le moteur reste US – même si on appuie le tout d’une épaisse couche de conseils consultatifs entre le Brandebourg et la Silicon Valley. De la même manière, Apple, lors de sa prochaine WWDC, orchestre une révolution du design à grand renfort de “langage visuel unifié”, d’IA modulaire et de calendriers pseudo-révolutionnaires. IOS ou macOS, la synchronisation de l’expérience prime sur celle des intentions, quitte à transformer la vie connectée en festival du déjà-vu sous stéroïdes intelligents.
Ce besoin de tout rendre technologique – l’écoute du papa, l’accès au code, la connexion entre seniors, la gestion des données nationales – cache péniblement la vraie inquiétude. Derrière les paillettes du Summer Game Fest chez Sony — où la stratégie n’a parfois d’autre intérêt que l’exclusivité médiatique — comme dans la bataille souterraine du “vibe coding” entre Anthropic et Windsurf, c’est une guerre de territoires (de données, d’attention, de souveraineté) que l’on rejoue. Les promesses d’écosystèmes ouverts se tapissent sous l’évidence toute brute de la clôture, de la segmentation, de l’accès réservé au “board” des grands. L’inclusion numérique des seniors elle-même devient un argument marketing prétexte, une variable d’ajustement pour conquérir chaque micro-niche générationnelle où Uber ne cherche, au fond, qu’à perpétuer son monopole avec une interface XXL.
La société du “smart” offre tout, mais repousse sans cesse la question : pour qui, pourquoi, et à quel prix réel ?
Or, la philosophie high-tech qui prévaut aujourd’hui, des mirages fusionnels de TAE aux assistants IA made in Europe en passant par la fausse dissimulation de profils sur Reddit, consiste à promettre la personnalisation de masse tout en resserrant le carcan collectif : tout le monde aura son coach IA santé, son clavier ergonomique, son accès restreint, mais tous seront dépendants des mêmes flux, des mêmes API “locavores” sous tutelle, et du même grand récit de l’innovation perpétuelle. À force d’individualiser l’offre, c’est la liberté collective qui s’étiole. Que l’on “offre” un Dremel ou un code d’accès, la technosphère distribue l’illusion d’un contrôle alors que la marge de choix réel se réduit à la taille du dernier update firmware ou du bouton “masquer mes données”.
Voilà peut-être le grand paradoxe de la tech contemporaine : vouloir rassurer tout le monde – parents, startups, gamers, développeurs, seniors – à coups de dispositifs toujours plus personnalisés et de promesses d’inclusion, c’est souvent ne rassurer personne et, surtout, ne jamais affronter la question fondamentale de la confiance et du sens. Tant pis si, entre deux State of Play et trois annonces de fusion, on manque l’occasion de réinventer ce qui compte vraiment : un geste non médié, un esprit critique, une technologie qui écoute avant d’imposer sa solution. La souveraineté n’est pas dans le cloud, l’attention n’est pas dans la notif, l’innovation n’est pas dans le re-design – mais dans notre capacité à ne pas tout déléguer à l’automatisation des rapports humains.