À quoi ressemble le monde technologique en 2024 ? À s’y méprendre à une gigantesque scène de théâtre où tous les acteurs—du microprocesseur au slip algorithmique—rêvent d’être la vedette. D’un côté, l’innovation se pavane sur le bout du nez avec les lunettes Ray-Ban Meta qui défient Babel à coups de traductions instantanées et selfies connectés ; de l’autre, les titans du web s’arrachent les projecteurs, oscillant entre feintes judiciaires et coups de poker IA pour ne pas finir muselés par un juge ou ringardisés par un rival.
Le spectacle ne s’arrête évidemment pas là. Avec OpenAI en quête d’un trône sur le navigateur web, prêt à croquer Chrome comme on engloutit un cookie maltraite la vie privée (Chrome sur le feu), on assiste à l’émergence d’une nouvelle espèce de monopoles : ceux où le logiciel n’est plus seulement un outil, mais le maître du jeu, as du contrôle de la passerelle numérique. Pendant ce temps, Gemini de Google prouve qu’avec 350 millions d’utilisateurs mensuels grâce à l’intégration profonde dans la suite Google, la vraie bataille joue sur l’effet réseau et la taille de l’écosystème (L’essor fulgurant de Gemini). C’est donc à celui qui aspirera le plus de données, tout en promettant, la main sur le cœur, de « respecter la confidentialité ».
Les frontières entre matériel, logiciel et service se dissolvent inexorablement : qui aujourd’hui regarde Netflix pour ses films, joue à la Xbox sans console, ou photographie sa vie via un smartphone à 150 €, sans que l’IA ne s’en mêle (Xbox Game Pass sur LG, Mobiles pas chers) ? La créativité elle-même se monétise à la token près, le temps que les GPU chauffent sous la soumission d’un générateur d’images en mode Ghibli (OpenAI images). Et pendant que Meta se demande s’il faut modérer avec un Oversight Board ou un jeu de pile ou face (Modération Meta), d’autres comme Noxtua veulent recouvrer la souveraineté européenne – mais, soyons honnêtes, qui rêve d’une IA juridique allemande quand la Silicon Valley sort du chapeau un tribunal « AI-first » ?
Dans ce grand opéra du gadget intelligent, chacun rêve de contrôler la scène — mais aucun ne se soucie de savoir si le public peut encore distinguer le rideau de la réalité.
Le plus ironique reste que cette orgie de technologies soi-disant libératrices arase, bien plus sûrement que le politique, nos dernières certitudes sur la frontière entre innovation, dépendance et aliénation quotidienne. L’IA n’est plus un outil : elle s’infuse dans tout ce qui brille, de la voiture électrique qui plafonne chez Tesla (Tesla ; Musk talon d’Achille), à l’information même que nous consommons, digérée, condensée, remixée puis recrachée par ChatGPT en partenariat avec The Washington Post (OpenAI et la presse). Sous couvert de progrès, le récit s’uniformise et la « liberté de l’utilisateur » devient l’ultime variable d’ajustement de plateformes qui soignent leur image le temps d’un rachat ou d’un procès antitrust.
Sommes-nous face à une démocratisation réjouissante de la tech, ou à la plus grande opération de capture attentionnelle de l’histoire moderne – une où le confort se paye d’un tribut inédit à l’homogénéité, où chaque innovation, sous couvert de pluralité, ne fait qu’étendre la toile d’emprise d’une poignée de géants ? Si les lunettes voient, si Chrome pense, si nos séries et jeux s’infusent d’IA, qui, demain, choisira encore ce que nous regardons, pensons… ou croyons décider d’aimer ?