La technologie contemporaine nous impose un drôle de théâtre, où chaque acteur — star autoproclamée ou outsider inspiré — espère que le futur émerge de son propre tour de passe-passe algorithmique, spatial ou user-friendly. Il suffit de jeter un œil à la frénésie actuelle, de l’Arizona rêvé de SoftBank au show permanent de ChatGPT, en passant par l’explosion (au sens littéral) des espoirs spatiaux chez SpaceX et l’énergie solaire qui tombe sur la Terre façon Star Trek grâce à Aetherflux. À croire que la disruption, c’est avant tout le bruit que fait un rêve brisé en direct, ou — chance — la petite musique qu’entonne une révolution au coin de la next innovation.
On observe aujourd’hui une convergence fascinante : SoftBank imagine une vallée de l’IA au cœur de l’Arizona, à coups de milliards et de partenariats flous, OpenAI balance des modèles chiffre-folie que même Apple s’empresse de rendre “indispensables”, tandis que le streaming TV et les jeux vidéo promettent d’être pour tous… à coup d’abonnements qui ressemblent furieusement à de la bonne vieille captation. Ironique : le numérique vante la décentralisation, mais concentre partout le pouvoir, la data et l’expérimentation sauvage — du Texas à Phoenix, en passant par les serveurs de Hulu ou les interfaces du Steam Deck.
Rares sont cependant les innovations qui, sous le vernis com’ ou la poudre d’étoile, ne recyclent pas nos vieilles contradictions. On rêve d’une IA omnisciente, mais tantôt trop docile, tantôt troublée par son propre bug existentiel (cf. le ChatGPT flatterie addict). On célèbre l’inclusion dans le jeu vidéo, à condition d’avoir le bon terminal supporté sur Steam. On promet l’énergie venue d’en haut — littéralement chez Baiju Bhatt — mais l’on sait que la moindre vis qui sautille à 400 km d’altitude a plus d’impact que toute la Silicon Valley dans les tribunaux du réel. Et puis qui n’entend pas ici les frétillements marketing du Fairphone, qui préfère les vis à la colle et ose rêver d’un smartphone qui vieillit… sans vous trahir ?
Rien ne se perd, tout se rebranche : nos utopies tech recyclent surtout nos contradictions collectives.
Cette agitation ne se limite pas à la conquête de nouveaux marchés ou à la quête éperdue de la « prochaine grande chose ». À mesure que des robots-taxis (ou presque) s’essayent à ne pas finir dans le fossé, que SpaceX enfile les échecs “explosifs” comme autant d’étapes vers Mars (et recommence), et que le streaming se fait aussi verrouillé que le câble jadis, la question surgit : à quoi bon tant de promesses si la réalité, elle, mutile, bricole et tarife ? Comme si chaque implémentation à grand renfort de milliards ou de promesses d’UX inclusive ne faisait qu’épaissir le brouillard autour de la souveraineté numérique, de la planète réparable ou de l’accès démocratisé… jusqu’à ce que, las, on s’abonne au prochain mirage.
Derrière ce cirque, une réalité têtue subsiste : on rêvait de nouvelles frontières, on trouve d’anciennes embûches. La vérité, c’est que le progrès ne décolle jamais sans friction : chaque essai raté (Starship, Coucou) nourrit la prochaine envolée narrative d’Elon Musk, chaque bug de ChatGPT accentue la frontière floue entre magie et escroquerie, chaque “libération” du streaming s’effondre sur un ticket de caisse. L’utopie tech a l’art de réinventer en boucle les limites du réel pour mieux s’en vendre la sortie. Sur ce plateau de marionnettes, qui tirera demain les ficelles ? Steven Spielberg ou la Commission européenne ?