La technologie, aujourd’hui, n’opère plus à coups de ruptures bruyantes : elle aime la sourdine, le raffinement, la nuance. Prenez Netflix, qui nous invente le sous-titre “dialogue seulement” pour une expérience à la carte, débarrassée du tumble d’informations sonores. L’innovation n’est donc plus dans l’ajout, le clinquant ou l’enrichissement, mais dans le retrait subtil, la décantation numérique où ne doivent surnager que l’essentiel, c’est-à-dire ce que l’on doit vraiment voir, entendre… ou lire. « Sous-titre », « réduction du bruit » – même combat : plus le monde déborde, plus la technologie s’invente des filtres pour organiser, rationner ou canaliser le flux. Prenez un casque PX7 S3 signé Bowers & Wilkins : il ne vous promet pas des sensations inédites mais la possibilité de choisir, sur l’éventail sonore, la plage de silence la plus immaculée… C’est l’apothéose du spectateur qui veut son monde, et rien de plus.
Cette quête insatiable d’un numérique adaptable transparaît aussi dans le brouhaha réglementaire et industriel. Quand l’Europe s’improvise arbitre des bonnes manières électroniques, c’est pour coller ses étiquettes de réparabilité sur les gadgets, espérant imposer la durabilité dans un marché où vitesse et usure règnent en maîtres (Répare ou Étiquette). Là encore, la mesure vise à tempérer le tout-jetable, faire redescendre la technologie de sa Tour de Babel vers une consommation responsable. Mais ce n’est pas innocence : sous le vernis écologique, c’est le contrôle des flux qui domine – l’information n’est pas libre, elle est emballée, datée, notée pour une société du “droit-à-réparer” contrôlé.
Ce goût du dosable, du maîtrisable, ne touche pas que les objets ni les étiquettes, mais aussi les intelligences qui s’y nichent. Les géants de l’IA comme OpenAI proclament l’ouverture de leurs modèles, mais cette générosité n’est jamais gratuite : il faut “passer la main” à leurs serveurs maison pour enclencher la surpuissance. On promet d’ouvrir tout… mais pas sans garder la clé du cloud premium dans la poche arrière. Ce choix d’une open source sous condition, où l’ouverture n’est que la première étape avant l’abonnement, fait écho à Netflix ou à Bowers & Wilkins, qui multiplient les options mais contrôlent les usages, tout en promettant d’écouter la voix du peuple. La tech contemporaine n’offre plus, elle module, segmente, parfois jusqu’à l’absurde. Même les réseaux sociaux jouent au grand écart : Threads change de nom de domaine (Threads.com), modifie son branding, disperse ses fonctions en colonnes personnalisées, pendant que Meta promet dans le même temps un grand nettoyage du spam sur Facebook (Nettoyage de Printemps). L’esprit de clarification doucereuse règne partout : chaque plateforme veut séduire “juste ce qu’il faut” d’utilisateurs, “juste ce qu’il faut” de créateurs… ni chaos, ni ennui.
Ni trop plein, ni trop vide : la nouvelle frontière technologique, c’est la juste dose, le bruit mesuré, la personnalisation sous condition et l’option configurable.
On pourrait croire à une résurgence du personnalisable, du “user-centric” devenu mantra, mais le revers est cruel. Derrière le réglage fin, la promesse de tout choisir, se tapit la logique du ticket d’entrée, de la segmentation sans fin. Que l’utilisateur réclame le silence, le contrôle ou la visibilité, la tech le lui accorde… en points, badges, profils, catégories. Même dans le jeu vidéo, la Switch 2 de Nintendo impose son échelle de fidélité, récompense le joueur de 50 heures et plus, trie les foules à l’abri des files et des scalpers. La technologie filtre nos usages, canalise notre enthousiasme. Et si la puissance est censée croître toujours plus vite (TSMC promet le 1,4nm pour demain : voir Le 1,4nm), elle le fait derrière des murs d’accès, d’attente et de formatage algorithmique.
Au final, la technologie n’avance plus sur le mode du big bang mais du “fine tuning”. Les écosystèmes prospèrent sur la simulation du choix, la fausse ouverture et l’illusion d’un multitâche apaisé. Reste à savoir si cette ère du “presque tout possible, mais à la carte” profitera aux utilisateurs… ou si, à force de vouloir organiser chaque détail, la tech ne retrouvera pas la bonne vieille cacophonie de l’avant-algorithme. Parce qu’en 2025, la vraie question n’est plus de savoir ce qu’on peut faire avec la technologie, mais ce que la technologie nous autorise à faire de notre chaos intérieur.