La promesse technologique fait tourner toutes les têtes, chasse l’argent, avale l’emploi… et, parfois, tente de faire croire à chaque maman du XXIe siècle qu’une appli ou une IA lui offrira enfin le cadeau ultime : du temps pour soi. Que ce soit General Fusion en quête d’énergie infinie, Duolingo en train de licencier son humanité à coups d’IA, ou l’industrie high-tech qui promet des gadgets libérateurs, la technologie s’habille sans cesse du discours du progrès, tout en laissant sur le carreau ceux qui n’en sont pas les premiers bénéficiaires. Un nouvel espoir d’émancipation, ou le même parfum d’illusion, version par abonnement ?
La quête d’un avenir radieux s’entrecroise avec des logiques de course à l’armement financier, qu’il s’agisse de fusion nucléaire ou de fusion-acquisition à la sauce Datadog/Eppo : si tu ne peux pas sauver le monde, acquiers au moins la startup qui t’empêchera de couler. À l’autre bout du spectre, les plateformes phagocytent l’intimité humaine, remplacent gentiment vos correcteurs par des robots (merci Duolingo) et habillent le tout d’une pédagogie « IA pour tous » prônée par la crème du capitalisme. Mais à qui profite vraiment la nouvelle injonction de « coder ou crever » imposée par les géants de la tech à l’école ?
Même la disruption financière n’échappe pas à la grande valse des récits numériques : MoneyFellows digitalise la tontine et prétend sauver des familles — tout en courtisant les fonds d’investissement et en s’approchant dangereusement des mêmes sirènes que ses cousins du « buy now, pay later ». La magie de la confiance communautaire sera-t-elle soluble dans le code et la croissance sans limite ? On retrouve cette dualité dans la panoplie d’applis qui remplacent la conversation familiale de Skype par l’intégration à l’écosystème tout-puissant. L’innovation devient la gestion du passage de relais entre dinosaures (adieu, Skype) et starlettes prêtes à ravir jusqu’à la salle d’attente de vos réunions… ou de votre patience.
Au royaume du progrès, on déploie l’innovation comme une citadelle et la confiance comme une monnaie d’échange qui s’évapore en même temps que les lignes de code remplacent les métiers et les traditions.
La question fondamentale reste : jusqu’où laisserons-nous l’automatisation bousculer nos repères humains, notre conception même du travail, de l’éducation, de la préservation du lien social — et jusqu’où accepterons-nous que la promesse de mieux vivre se transforme sans cesse en nouvel impératif d’adaptation ? La machine qui devait libérer du temps réinvente sans pitié la pénurie d’emploi (voir Duolingo) ; l’expérience utilisateur personnalisée devient un prétexte pour collecter plus de données ou pour imposer les standards de la Silicon Valley. Et dans ce vaste bazar numérique, même le « cadeau idéal » pour la Fête des Mères se pare des oripeaux de la tech, alors qu’il n’offre bien souvent qu’un mirage d’émancipation là où il faudrait de vraies solidarités.
La technologie, aujourd’hui, avance masquée : elle s’achète en ligne, investit nos écoles, manage nos échanges, fait semblant d’émanciper et, en coulisses, fait et défait les règles du jeu social et économique. Peut-être faudrait-il sortir, enfin, du conte de fées technologique et regarder en face les asymétries, les vulnérabilités et les dépendances que chaque « avancée » engendre. Entre rêve de fusion, dé-fusion du lien social et confusion des valeurs, la question qui s’impose n’est plus « peut-on automatiser tout ce qu’il y a d’humain ? » mais bien : qu’est-ce que nous refusons de déléguer à la machine, et, donc, à ceux qui la programment dans l’ombre ?